Paris est une fête - Miruna Constantinescu
"My name is Lavinia-Miruna Constantinescu and I am an English and French finalist at the University of Warwick. I have always been drawn towards the dynamic interplay between literature, linguistics, philosophy and bilingualism. Being Romanian, I am naturally at ease with Romance languages and strongly attracted to Germanic ones. I am fluent in English and French, two languages I started learning when I was five years old. I also have working knowledge of Spanish and German. My year abroad in Paris, at the Sorbonne (Faculty of Letters, Paris IV) was a unique and valuable experience, which gave me exposure to a highly competitive and culturally diverse environment. I equally consider myself fortunate to have had the opportunity to live for one year in one of the most beautiful European cities. Even under the circumstances of the pandemic, the study placement in Paris has contributed to both my professional and personal development, and I do hope this story reflects how a Parisian setting has the unparalleled capacity to brighten any heart, any day, at any time."
Below is Miruna's story. Don't forget to use the questions in the downloadable PDF files on the righthand side of the page to stimulate discussions.
Il n’y a rien de plus embêtant que le silence d’une page blanche. Le vide dans lequel la contemplation de ce blanc infini m’a plongé était si profond que je me suis décidée à sortir en ville pour m’évader de cet état d’esprit malheureux.
Tout était une énigme indéchiffrable. J’étais absolument sûre que j’avais sauvegardé sur mon ordinateur le document qui contenait mon devoir à rendre la semaine prochaine pour l’enseignement de littérature française. Pourtant, quand je voulus lire encore une fois mon travail, afin de corriger les éventuelles fautes qui s’étaient échappées à ma vigilance critique, je me suis heurtée à l’absence moqueuse d’une page blanche. Comme tous les écrivains, je savais que chaque mot perdu était par nature irremplaçable.
Errer dans le labyrinthe de ruelles parisiennes du Vème arrondissement me semblait le seul remède à mon désespoir. Ce n’est pas l’idée de devoir faire mon essai à nouveau qui me troublait tant. La raison de mon chagrin était la trace disparue de ces mots qui épousaient parfaitement le vide de la page, ces mots qui n’étaient maintenant que des échos du silence.
L’après-midi pluvieuse était en accord avec ma tristesse qui s’étendait sur tout Paris. C’est étrange comme on aperçoit toujours le monde qui nous entoure à travers nos joies ou nos tourments intérieurs ! Mon état d’esprit déplorable a été brièvement dissipé par la découverte d’une petite librairie, située proche de la Cathédrale Notre Dame. J’entendis quelques voix joyeuses parlant un anglais digne du Square Trafalgar, à Londres. Cette petite librairie d’où se levait le parfum enivrant des livres feuilletés avait réussi à apprivoiser ma tristesse, qui était soudainement remplacée par la curiosité d’y entrer.
« Bienvenue au Shakespeare & Company ! », ai-
je entendu l’homme travaillant au comptoir me dire.
Un livre à la couverture dorée a attiré mon attention. Paris est une fête, ai-je lu sur la première de couverture dont le titre écrit de manière calligraphique. L’ouvrage ressemblait plutôt à un manuscrit : il y avait des tâches d’encre ici et là et des points d’interrogation accompagnaient quelques phrases. En feuilletant ce livre, j’ai eu l’impression de pénétrer dans une maison déserte, dont les objets gardaient encore la trace des doigts du propriétaire. Chaque tournure de page dévoilait un secret qui devait rester caché. Il y avait une élégance qui enveloppait les phrases du livre d’une beauté immaculée. Les mots tombaient parfaitement sur la page qui épousait les battements du cœur de son auteur. La découverte de ce manuscrit parfait me fit brièvement songer à mon devoir perdu.
« Je connais très bien ce regard désolé, j’ai souvent été la victime des mots. »
Alors que je levais les yeux du livre, je vis un homme vêtu de manière modeste, mais qui avait un charme particulier. Sa voix veloutée, son regard bienveillant et le sourire espiègle qu’il arborait au coin de sa bouche m’ont permis de l’observer de manière très attentive. Je vis sur ses doigts quelques tâches d’encre qui trahissaient l’écrivain caché au fond de lui.
« Je n’avais que 18 ans lorsque je fus envoyé comme correspondant de guerre en France. Je suivais et même parfois devançais les troupes alliées dans leur marche sur Paris. Pour un enfant récemment arrivé à l’âge de la maturité tant désiré c’était quelque chose d’extraordinaire : participer à l’écriture de l’histoire. Être là, même au milieu de la guerre, me semblait infiniment mieux qu’avoir encore vécu en Amérique, dans une petite ville où rien ne se passait jamais. Alors que je respirais le souffle de la mort, je vis des hommes au cœur battant être réduits à l’état de cadavres. On voyait partout l’impuissance des guerriers face à la mort impitoyable. Un jour, je suis allé avec un camarade dans un petit restaurant. On avait besoin de se sentir encore jeunes et de s’opposer aux atrocités du combat qui nous faisaient chaque jour vieillir. Là, au petit restaurant qui refusait luimême de se laisser détruire par les drones militaires, je connus la plus belle femme du monde… ».
À ce moment du récit, deux grosses larmes descendirent lentement des coins des yeux de cet homme déchiré entre la maturité et la vieillisse. Les larmes, abritées maintenant par les coins de sa bouche, transformèrent sa tristesse en sourire. En me parlant, mon interlocuteur mystérieux reconstituait dans sa mémoire tous les moments vécus avec cette belle étrangère qu’il avait rencontrée au restaurant parisien il y a de cela une éternité.
« Elle parlait un seul mot d’anglais : yes, et moi, un seul mot de français : oui. C’était la relation de couple parfaite. Nos regards parlaient et nos bouches demeuraient muettes face au grand amour bercé dans les pupilles de chacun, un amour beaucoup plus puissant que mille mots. On a appris ensemble la langue de l’autre mais on transmettait encore tout ce qui était essentiel à travers nos yeux. Nous nous sommes mariés quelques mois après avoir vécu en couple. On avait tout ce qu’on désirait au monde et même un peu plus. Ma belle Cécile m’a dit un jour qu’elle était enceinte. Je me suis habitué à ce bonheur extrême, ce qui est toujours un mauvais signe dans la vie. Quelque chose d’horrible allait se passer et je le savais au fond du moi. On était trop heureux pour de simples mortels. Notre petite fille avait trois mois quand elle a commencé à pleurer incessamment, sans qu’on ne puisse rien faire pour apaiser sa souffrance. Nous étions désespérés. Un soir, après le diagnostic du médecin, notre petite a rendu son dernier souffle. Après ce malheur inimaginable, notre vie ensemble a été marquée par le chagrin et par les remords. On n’était plus le couple que tout le monde admirait.
Un matin, j’ai trouvé un petit billet sur la table de chevet. Ma femme était partie chez ses parents pour s’évader de cette maison où nous avons habité et où nous nous sommes aimés. Seul dans cet appartement, je me suis mis à écrire. C’était le seul remède à la douleur qui jaillissait de moi chaque jour. J’écrivais sur le bonheur d’avoir rencontré Cécile, sur ces moments de joie que nous avons ressentis avant que la souffrance nous ait volé la capacité à vivre et à aimer.
Quand j’eus fini mon manuscrit, je suis allé visiter ma femme chez ses parents. Je lui ai donné le livre, pour qu’elle puisse lire tout ce qui demeurait indicible après la mort de notre enfant. Je suis retourné à Paris seul, sans manuscrit et toujours sans un cœur dans ma poitrine.
Quelques semaines se sont écoulées dans la solitude à laquelle je m’étais habitué. Un jour, Cécile rentra à Paris, chez nous, et la souffrance fut brièvement chassée de notre appartement. Je l’ai serrée fortement dans mes bras. Je lui ai demandé après ce qu’elle avait pensé de mon livre. Toute rouge, elle se rendit compte qu’elle avait oublié la valise qui contenait le manuscrit dans le filet porte-bagages du train.
Tout ce que j’avais écrit, tout ce que j’avais senti si fortement pendant ces mois passés en solitude était maintenant perdu à jamais. Après cet incident, j’ai été pour une longue période dévoré par le silence des pages blanches, par leur vide moqueur qui annihilait mes pensées. Mais les mots nous reviennent toujours. Ce sont plutôt les hommes qui se laissent emporter par l’absence… »
Sans que je n’aie pu rien dire, l’homme qui m’avait si doucement parlé s’est enfui. Les seuls témoins de notre rencontre étaient les pages du manuscrit doré que je tenais dans mes mains encore tremblantes. Tout à coup, mon amour pour les mots s’est réveillé. Je savais que maintenant j’étais prête à rompre le silence qui avait paralysé mon imagination avant ma visite chez Shakespeare& Co. Le chagrin de la guerre, la magie des premières rencontres et la mort irréconciliable furent mes compagnons pendant les quelques heures de ma découverte du Paris au XXème siècle à travers la voix de cet homme mystérieux.
Ce livre c’est bien tout que vous achetez aujourd’hui, mademoiselle ?
Je répondis que oui. Ce petit mot, une banale affirmation dans la réalité quotidienne, eut représenté pour certains, comme le vieillard que j’ai rencontré ce jour-là, tout un langage d’amour. Je restai émerveillée par le pouvoir des lettres et je ne pus que sourire à ma naïveté de croire qu’une page blanche serait jamais capable de rendre muets les échos de l’âme humaine.
Paris était de nouveau une fête.